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Saturday, 22 October 2005 00:00
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"Le Royaume : réalisé et à venir"

Archevêque Georges KHODR Métropolite Chrétien-Orthodoxe du Mont Liban

Le chrétien vit toujours écartelé, car le Royaume est venu avec l'arrivée du Roi, c'est-à-dire le Christ mais il ne s'accomplira que quand toute l'humanité sera devenue à l'image du Christ. Le croyant souffre car il voudrait que l'Eglise devienne avant-goût du Royaume, même dans les limites de la faiblesse humaine. Ceux dont le cœur est blessé d'amour pour Dieu savent que cela n'est pas entièrement réalisable. Ils se rendent compte aussi que cette réalisation ne se fera pas dans un avenir prévisible. Plus la ferveur augmente chez l'homme, plus il voudrait que les jours derniers se mêlent à son présent tant ses yeux aspirent à la vision de la gloire divine.
Pourquoi le christianisme insiste sur la perfection ici et maintenant ? Pourquoi le Maître nous a-t-il dit : 'soyez parfaits'. Quand le Nazaréen a dit cela, Il n'était pas sous l'emprise du temps et il savait que personne ne peut atteindre la perfection sous cette emprise. Mais, Jésus envahit le temps des hommes voulant y susciter l'impossible. Pour cela, Il a donné au concept du témoignage des dimensions insuffisamment soulignées dans l'Ancien Testament. Le témoin parle de ce qu'il a vu. Il est donc en quelque sorte ce qu'il voit. Le christianisme met l'accent non seulement sur l'entendement mais sur la vision de Dieu, c'est-à-dire sur la nécessité de Le goûter dès ici-bas. Un bon comportement implique une acquisition des mœurs divines, une contemplation Dieu dans un cœur pur. Ceux qui regardent un tel témoin voient Dieu et l'accueillent dans leur cœur. Dans la conception chrétienne, le fait de témoigner est beaucoup plus probant que celui d'entendre. Certes, le christianisme parle beaucoup de mission. Mais il va sans dire que la parole du missionnaire n'est reçue et ne devient opérante que dans la mesure où il a lui-même revêtu la gloire divine.
C'est un sujet de tristesse pour les gens du Royaume de noter que ceux qui portent le nom du Christ ne sont pas meilleurs que d'autres et que le Baptême n'a d'effet que sur une minorité. Les gens du Royaume constatent qu'il y a peu de repentants ; que ceux auxquels il est demandé de témoigner ne le font pas ; que ceux dont on attend d'entendre la voix de Dieu sont avares de bonnes paroles ; comme si l'Evangile était dilapidé en totalité ou en partie ; comme s'il n'y avait qu'un petit nombre pour expérimenter l'affection divine et la transmettre en paroles et en actes ; comme si les nombreux convives à la Table du Seigneur s'éparpillaient dans les ténèbres de la nuit.
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Cette tragédie parait encore plus évidente au sein du clergé. Ce mot vient du grec et veut dire 'part' dans le sens appliqué aux prêtres hébreux qui, n'ayant pas reçu de 'part' lors de la distribution de la terre conquise l'ont trouvée en Dieu. Ceux auxquels est appliqué ce nom dans l'Eglise sont donc appelés à vivre libres de tout intérêt mondain. Il peut souvent arriver qu'ils ne soient pas meilleurs que les autres, bien qu'Ignace d'Antioche, martyrisé en l'an 117, parle de chacun d'eux comme étant une icône du Christ. Or, les règles canoniques, en cours dans l'Eglise Orthodoxe, exigent de brûler le bois d'une icône si l'image du saint qui y était peinte est estompée par le temps, car il n'est pas digne d'honorer une icône qui n'en est plus une.
Dans le vécu quotidien, l'évêque ou le prêtre ne sont finalement que des hommes. Tout un chacun connaît leurs faiblesses humaines et il n'est pas besoin d'être particulièrement intelligent pour analyser leur comportement. Bien qu'il soit admis que le passage de l'état laïc à la prêtrise et l'intégration au corps clérical sont porteurs de la grâce qui 'parfait les indignes', il reste néanmoins très difficile de trouver, comme l'exigent les textes scripturaires, quelqu'un d'irréprochable pour en faire un évêque,
Bien que les écrits de certains de nos Pères, en particulier la littérature ascétique, insistent sur une pureté sans mesure des prêtres, nous savons pertinemment qu'il n'en est rien et qu'une telle pureté est difficilement réalisable. A force de désillusions et d'amères expériences, la masse des fidèles en est arrivée à se suffire d'un homme qui ne commettrait pas de graves transgressions et s'abstiendrait de grandes ignominies. Mais, ceux dont la conscience chrétienne est 'à fleur de peau' n'acceptent pas cet état de fait et continuent à vouloir que le prêtre, ainsi que sa famille, atteignent une rare pureté de vie. Pour eux, il se doit d'être fils du Royaume pour être à la tête du troupeau. En effet, comment peut-il devenir père s'il n'est pas né d'en haut ?
Tout prêtre n'est pas un père spirituel, c'est-à-dire capable d'engendrer les hommes en Christ. Reconnaître ses péchés et s'en confesser n'implique pas nécessairement une vie nouvelle. Ceux qui veulent vivre de l'Esprit sont amenés par Son Souffle à se regrouper. De par l'affection fraternelle, la mise en commun spirituelle, la méditation de la Parole de Dieu, la repentance et les larmes, ce Souffle ne cessera de se transmettre de l'un à l'autre.
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Toute communauté dite chrétienne, qui ne serait pas née à nouveau d'en haut, peut être perçue sociologiquement. Elle considère que ceux qui sont nés de l'Esprit ne sont qu'un groupuscule, partie d'un tout qu'elle seule prétend représenter, c'est-à-dire un tout généralement tiède, sans aucun engagement. Quant à moi, j'affirme que le christianisme n'a vraiment fleuri qu'au sein de telles 'parties', s'il est permis d'utiliser une telle expression pour les définir. L'exclusion est une dimension essentielle chez la majorité pour se donner bonne conscience d'ignorer les exigences de l'Evangile.
Il n'est cependant pas permis de faire de l'Evangile un instrument pour juger les gens ou les amener à se juger eux-mêmes, car les hautes exigences qui s'y trouvent perturbent les statu quo ainsi que ceux qui les gèrent. De plus, en ce faisant, on utiliserait des critères auxquels la hiérarchie ecclésiastique est peu habituée, comme si on était en train de fonder une nouvelle Eglise.
L'Ancien Testament est placé sous le régime du Verbe. Les prophètes le rappelait sans cesse et le peuple avait le choix de l'accepter ou non. Par contre, le Nouveau Testament est sous le régime de l'Icône, qui est le Verbe en action et qu'il faut continuellement activer car il faut toujours dire : 'Viens et vois'. Nous sommes tous appelés à être des témoins. Ceux qui nous regardent doivent voir Dieu. Autrement, Dieu ne se fait voir de personne à part de ceux qu'Il choisit directement sans l'intermédiaire de témoins.
'Ceux qui n'adorent pas le monstre et son image' forment un petit reste. Ils portent en eux la victoire de Dieu jusqu'à ce qu'Il règne pour toujours dans l'Eglise triomphante. Le labeur doit cependant commencer (et se terminer) dans l'Eglise terrestre dans la douceur mais aussi dans un attachement total à la vérité pour qu'aucun iota de la Loi du Christ ne soit omis et pour que cette Loi demeure en nous comme un feu dévorant.
Il y a dans l'Eglise des gens dont le cœur est de ce monde et s'y trouve ancré. Ils sont nos frères dans l'espérance qu'ils soient transfigurés en Christ dans la mesure où ils accepteront la grâce et se repentiront pour que vienne Son deuxième Avènement. Notre vie dans l'Eglise trouve sa force dans le Sauveur et demeure illuminée en Lui. Mais, nous y sommes accompagnés de tous ceux qui ne veulent pas approcher Son Visage dans le sérieux et la vérité. Nous sommes donc toujours attristés dans le temps des hommes, mais nous ne nous laissons pas abattre par la douleur car elle nous permet de goûter la force de la Résurrection. On ne peut porter la Croix qu'en s'associant à ceux qui l'abhorrent. Ils souffrent eux aussi, mais sans savoir trouver la Résurrection au sein de leur douleur.
La vie dans l'Eglise est loin d'être aisée car elle est à la recherche de ce qui n'est pas entièrement accompli. La particularité du chrétien engagé est que seul le ciel le dépasse. En ce sens, il est sans aucune relâche, en tension vers le haut. Quelle que soit la justice que l'on atteint on est toujours blessé par le péché. Le christianisme est une aspiration alimentée par les promesses de la vie éternelle. Cette vie éternelle commence aux premiers pas du cheminement dans la piété. On peut devenir chrétien, non dans le sens d'un accomplissement d'un système clos, fini, mais dans le sens d'une vie dans l'espérance. Engagé dans cette vie, le croyant reçoit Dieu et il en est reçu dans la gratuité de la compassion divine.

Published Saturday October 22, 2005 in the © An-Nahar, Lebanese news paper. Translated from original Arabic.
Last Updated on Tuesday, 25 May 2010 01:16